dimanche 25 mai 2014

"l'Age des Professions: ce temps où (....) les électeurs donnaient à des technocrates le pouvoir de légiférer à propos de leurs besoins" de Ivan Illich, Le chômage créateur, p 39

l'Age des Professions: ce temps où (....) les électeurs donnaient à des technocrates le pouvoir de légiférer à propos de leurs besoins,



Pour voir clairement le présent, imaginons les enfants qui joueront bientôt dans les ruines ds lycées, des hôtels Hilton et des hôpitaux. Dans ces châteaux professionnels devenus cathédrales, édifiés pour nous protéger de l'ignorance, de l'inconfort et de la mort, les enfants de demain réinterpréteront dans leur jeux les illusions de notre Age des Professions, comme nous reconstruisons, à partir des châteaux et des cathédrales, les croisades des chevaliers contre le péché et le Turc, pendant l'Age de la Foi. Les enfants mêleront dans leurs jeux le charabia qui pollue aujourd'hui notre langue aux archaïsmes hérités des histoires de brigands et de cowboys. Je les vois s'adresser l'un et l'autre en tant que président et secrétaire plutôt qu'en tant que gendarme et voleur. Bien entendu, les adultes rougiront lorsqu'ils s'oublieront à employer des termes du baragouin gestionnaire, tels que prise de décision, planification sociale et solution des problèmes.

On se souviendra de l'Age des Professions comme de ce temps où la politique s'est étiolée, tandis que, sous la houlette des professeurs, les electeurs donnaient à des technocrates le pouvoir de légiférer à propos de leurs besoins, l'autorité de décider qui a besoin de quoi, et le monopole des moyens par lesquels ces besoins seraient satisfaits. On s'en souviendra comme l'Age de la scolarité, âge où les gens , pendant un tiers de leur vie, étaient formés à accumuler des besoins sur ordonnance et, pour les deux autres tiers, constituaient la clientèle de prestigieux trafiquants de drogue qui entretenaient leur intoxication. On s'en souviendra comme de l'âge où le voyage d'agrément signifiait un déplacement moutonnier pour aller lorgner des étrangers, où l'intimité nécessitait de s'exercer à l'orgasme de Masters et Johnson, où avoir une opinion consistait à répéter la dernière causerie télévisé, où voter était approuver un vendeur et lui demander de "remettre ça".

Illich Ivan, Le chômage créateur, Paris, éditions du Seuil, 1977, p 39

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