mercredi 24 septembre 2014

Enseignants, chercheurs et résistants : Paulo Freire et Célestin Freinet

par Julie Amadis
Le Savoir en Echanges

24/9/14

Kilian ne comprend pas "pourquoi on met une retenue à cet endroit là ?". Jessica bloque quand il faut lire un texte long. Nicolas a "peur d'aller dans le grand bassin" de la piscine...

Que fait-on face à ces blocages, à ces incompréhensions des élèves ?
Est ce que l'on se dit "c'est comme ça et puis c'est tout" ou bien nous dirons-nous "tous les enfants doivent pouvoir comprendre" et donc que s'ils sont bloqués c'est que notre méthode n'est pas la bonne pour eux ?

TOUS LES ENFANTS CAPABLES DE REUSSIR

Tous les enfants sont capables de réussir. En tant que pédagogues, nous devons comprendre d'où viennent leurs difficultés et les résoudre. Nous en avons le devoir.

LES ENSEIGNANTS, DES CHERCHEURS

Les enseignants sont donc des chercheurs. Ils ne cessent face à des situations imprévues de trouver des outils et méthodes nouvelles pour que tous les élèves comprennent le monde qui les entoure.

220px-Paulo_Freire.jpgPAULO FREIRE, PEDAGOGUE DE l'AUTONOMIE

Paulo Freire, pédagogue Brésilien, militant pour l'alphabétisation des plus pauvres, l'avait bien compris.
"Il n'y a pas d'enseignement sans recherche ni recherche sans enseignement. Ces actions en tant que "Que Faire" se retrouvent imbriquées. Tandis que j'enseigne, je continue à chercher, à rechercher. J'enseigne parce que je cherche, parce que j'ai questionné, parce que je questionne et je m'interroge. Je cherche pour constater ; constatant, j'interviens ; en intervenant, j'éduque et je m'éduque. Je cherche pour connaître ce que je ne connais pas encore et pour communiquer ou annoncer la nouveauté." p 46 Pédagogie de l'autonomie , Paulo Freire
Mais cette vision des choses est confrontée à la réalité. 
"Freire devient directeur d'un service à l'Université de Recife et élabore un programme d'alphabétisation des adultes pour des milliers de paysans du nord-est du pays. Des volontaires appliquent ce programme dans tout le pays. Wikipédia "

 "la lecture et de l'écriture ne doivent plus fonctionner comme outils culturels de domination."

C'est sur le terrain, en particulier au Nordeste du Brésil que Paulo Freire avait construit son analyse.
"En 1958, il présente un rapport, l'Éducation des adultes et les populations marginales : les problèmes des Mocambos qui innove en ce qui a trait à l'éducation permanente des adultes. Selon lui, cette éducation doit se fonder sur l'apprentissage de la lecture et de l'écriture appliquée au vécu quotidien des apprenants. Selon Freire, la lecture et de l'écriture ne doivent plus fonctionner comme outils culturels de domination. Ainsi, il insiste pour éliminer la structure hiérarchique de l'éducation, laquelle favorise la domination du professeur sur ses élèves tant par le pouvoir que par le savoir. Dans une perspective démocratique, l'éducation doit se réaliser avec la personne. Pour obtenir un tel fonctionnement, il faut qu'apprenants et enseignants s'engagent, collaborent, participent, prennent des décisions et soient, en ce qui a trait à l'éducation, responsables tant socialement et politiquement. Écrit dans une forme inhabituelle, le rapport contribue à le cataloguer comme éducateur progressiste Wikipédia ".

"la répression et l'exclusion des défavorisés de la vie politique
et économique ne sont pas limitées aux pays du Tiers-Monde
"

Paulo Freire n'est pas seulement un chercheur, il est aussi un résistant.
"Wikipédia En avril 1964, un coup d'État renverse le gouvernement et tous les mouvements progressistes sont éliminés. Paulo Freire se retrouve derrière les barreaux pour activités « subversives ». Pendant 70 jours, il est interrogé sans relâche. C'est l'événement déclencheur qui l'incite à entreprendre la rédaction de l'ouvrage l'Éducation comme pratique de la liberté. Il y analyse les raisons de son échec de changement politique au Brésil. Peu après, le pouvoir l'expulse au Chili, où il travaille pendant cinq ans à un programme d'alphabétisation. À cette époque, l'UNESCO reconnaît les efforts du Chili pour enrayer l'analphabétisme.
À la fin des années 1960, Freire entre en contact avec une autre culture : celle des révoltes étudiantes, de la lutte pour l'intégration des Noirs et de l'opposition à la guerre du Viêt Nam aux États-Unis. Il est professeur invité au Centre d'études en éducation et développement de l'Université d'Harvard. Ces agitations sont une révélation pour Freire : il se rend compte que la répression et l'exclusion des défavorisés de la vie politique et économique ne sont pas limitées aux pays du Tiers-Monde. Cela l'amène à élargir sa définition du Tiers-Monde, lequel n'est plus géographique, mais bien politique."

FOI EN L'ESPECE HUMAINE

C'est parce qu'il croyait au potentiel de chaque humain qu'il avait une posture d'enseignant chercheur.
Les enseignants qui innovent en pédagogie sont bien souvent des gens qui ont foi en l'espèce humaine. Ce sont des observateurs. De leur observation découle l'analyse puis l'innovation pédagogique.

Celestin Freinet incompris à son époque était aussi un chercheur :

freinet.jpg"Freinet est un grand lecteur et se tient au courant des parutions dans le domaine de l’éducation. Mais il en fait une exploitation parcellaire et autocentrée. Son intérêt se mesure à ce qu’il peut condamner (comme « scolastique » par exemple) ou réinvestir dans son action pédagogique. Freinet donne aussi la priorité à l’analyse et l’expérimentation des pratiques comme productrices de savoir, ce qui se traduit à la fois par l’empirisme des démarches mais aussi par une grande richesse. De la sorte, un programme ambitieux comme La main à la pâte apparaît-il comme coûteux, exotique et désuet à des praticiens pour lesquels l’expérimentation va de soi. Enfin, Freinet a l’ambition de promouvoir sa propre psychologie de l’enfant, ce dont témoigne son Essai de psychologie sensible et ce que corrobore sa correspondance" (N°207 – BRULIARD Luc LA PÉDAGOGIE FREINET ET LES SCIENCES DE L’ÉDUCATION source)


L'enseignant chercheur est très souvent considéré comme un ennemi par les responsables de l’Éducation Nationale car il refuse d'obéir bêtement à des principes. Il considère que la science est plus forte que tout. Et que donc son analyse expérimental des situations valent bien mieux que toutes les nouvelles lubies gouvernementales.

"Un différend l'oppose ensuite à son administration au sujet des modalités de transmission d'un rapport d'inspection concernant l'adjoint de Freinet. Menacé de mutation d'office, Freinet, sur les conseils de son syndicat, doit céder. Dans la nuit du 2 au 3 décembre 1932 une cinquantaine d'affiches, de deux types différents, sont apposées sur les remparts du village. (...)  l'autre modèle accuse l'instituteur de faire de ses élèves de futurs bolcheviques. Dans la foulée, la municipalité, d’obédience Union républicaine et démocratique, et une association d'anciens combattants introduit une plainte contre Freinet. Tandis que l'administration diligente une enquête, les tensions montent entre partisans et opposants de Freinet. Le 19 décembre le maire appelle à une grève scolaire. La presse locale d'abord, puis nationale - Maurras lui-même s'exprimera à ce sujet dans l'Action Française - se fait l'écho du conflit qui résonne jusque dans l'Assemblée8. Le préfet décide de déférer Freinet devant le Conseil Départemental de l'enseignement primaire, qui, le 28 janvier 1933, finit par le condamner à la Censure. Tandis que Freinet fait appel de cette décision auprès du Conseil d’État, parvient à l'Inspecteur d'académie une pétition, signée par des parents, qui reprochent à Freinet de faillir à son devoir de neutralité scolaire en faisant l'éloge de la révolution russe. Les lettres se multiplient, tant celles portant une opposition que celle exprimant un soutien. Freinet écrit au Ministre de l'Instruction Publique, Anatole de Monzie, une lettre dans laquelle il répond point par point aux reproches qui sont faits tant à lui personnellement qu'à l'éducation nouvelle en général. tandis que la grève scolaire continue, la réponse du ministre se fait attendre. Le 23 avril 1933, veille de la rentrée de Pâque, une foule se presse devant l'école; des violences sont commises ; Freinet, craignant pour la sécurité des enfants accueillis et la sienne exhibe un revolver. Après cet épisode, invité à accepter une mutation, Freinet ne concède que de se mettre en congé pour trois mois. Le 21 juin 1933, le Préfet avise Freinet de sa mutation d'office « dans l'intérêt de l'école laïque ». Refusant sa réaffectation au Bar-sur-Loup, Freinet fait demande un congé de longue durée, pour raison de maladie, qui est acceptée.(...)  L'administration trouve encore à poursuivre Freinet qu'elle considère en contravention avec la réglementation sur les internats. Plutôt que de poursuivre Freinet en correctionnelle, le Préfet le défère une nouvelle fois devant le Conseil Départemental de l'enseignement primaire qui vote à l'unanimité la fermeture de l’École. Si le Conseil d’État, par sa décision finale du 3 avril 1936, ne donne pas droit aux demandes de Freinet, l'avènement du Front Populaire quelques mois plus tard permet à Freinet d'obtenir une révision de la dernière interdiction : le 23 juillet 1936, Jean Zay (1904-1944), nouvellement nommé ministre de l'Éducation par Léon Blum, autorise l'ouverture de son école du Pioulier à Vence10,11
L'enseignant efficace est un chercheur et c'est donc un innovant.
Ceux qui ne font que répéter pour plaire aux inspecteurs ne peuvent transmettre efficacement des savoirs.
Lire et relire Paulo Freire et Célestin Freinet est une mine pour les chercheurs postmarxistes. Même si le concept de strate des Innovants qu'il faut protéger chez l'enfant ne se trouve pas dans leurs textes explicitement, ils ne cessent de réaffirmer l'importance de protéger la capacité à découvrir, à inventer et à créer de l'art chez les générations futures.
Ces deux chercheurs étaient des postmarxistes. C'est ainsi qu'il faut les étudier.




COMPLEMENTS
J'ai modifié la traduction habituelle du texte de Paulo Freire. Son "que-fazeres" c'est évidemment le pluriel de "Que fazer", le titre du livre de VI Lénine posant le même question dans son livre d'étude de 1904 que Nikolaï Tchernychevski dans son roman "Que faire ? Les hommes nouveaux (" de 1862 qui marqua toutes ces générations qui voulaient changer la Russie comme Freire voulait changer le Brésil.
"Não há ensino sem pesquisa e pesquisa sem ensino. Esses que-fazeres se encontram um no corpo do outro. Enquanto ensino continuo buscando, reprocurando. Ensino porque busco, porque indaguei, porque indago e me indago. Pesquiso para constatar, constatando, intervenho, intervindo, educo e me educo. Pesquiso para conhecer e o que ainda não conheço e comunicar ou anunciar a novidade." (PDF en portugais)
Lire ces remarques sur la traduction en français du texte de Paulo Freire

Partie III. Questionnement sur l’organisation du travail pédagogique sous la contrainte des recommandations issues des réformes éducatives.

"L’origine de cet intérêt pour cette thématique est de rechercher dans notre propre expérience concrète d’enseignante en salle de classe, mais aussi dans une orientation réflexive philosophiquement et épistémologiquement influencée par la perspective freirienne de l’éducation. C’est donc en référence à cette praxis en tant qu’en action et réflexion sur le monde, produites conjointement et socialement par les êtres humains en vue de le transformer (Régnier in Freire 2006 p.166), que nous avons conduit ce travail de recherche. En reprenant le discours de Paulo Freire dans la Pédagogie de l’autonomie (Freire 2006 trad. Régnier p.168) : « il n’y a pas d’enseignement sans recherche, ni recherche sans enseignement. Ces faires praxiques (que-fazeres) se retrouvent imbriqués. » nous explicitons la cohérence de notre parcours de formation doctorale. Les faires praxiques est le signifiant choisi par Jean-Claude Régnier dans la traduction qu’il réalisa de l’ultime ouvrage de Paulo Freire, pedagogia da autonomia (Freire, 2000, 1ère éd. 1996) pour rendre compte du concept de que-fazer en argumentant ainsi « Dans le langage dialectique de Paulo Freire, le terme portugais quefazer(es), par ailleurs orthographié que-fazer(es) dans (cet) ouvrage () semble prendre une connotation forte. Si, dans l’usage commun, il peut avoir une sens voisin de affaires, occupations ou négoces, il est employé par Paulo Freire car il voit dans le fazer, c’est à dire le faire, une trop forte réduction à l’action. Le faire n’est pas à la réflexion, il est aveugle. Ainsi le que-fazer rétablit la seconde dimension de la praxis qu’est la réflexion. Pour rendre compte de cet enrichissement conceptuel du verbe faire, j’ai choisi de traduire que-fazer par faire praxique » (Régnier in Freire 2006 p.167-168). Notre pratique de chercheur en formation est en quelque sorte un faire praxiqueque-fazer au sens de Freire qui donne une orientation à nos choix épistémologiques et méthodologiques.
Pendant notre formation initiale en Pédagogie, au Brésil, nous avons eu plusieurs occasions d’observer comment se développe le travail de l’enseignante à l’école primaire, notamment dans les moments de stages d’observation, de pratique accompagnée ou encore en responsabilité. Ceci nous a motivé à entreprendre une trajectoire de recherche dans cette direction dans des différents moments de notre formation."
 Le texte du livre en anglais ocr

Research
"Once again, there is no such thing as teaching without research and research without teaching.3 One inhabits the body of the other. As I teach, I continue to search and re-search, I teach because I search,
because I question, and because I submit myself to questioning, I research because I notice things, take cognizance of them. And in so doing, I intervene. And intervening, I educate and educate myself. I
do research so as to know what I do not yet know and to cornmunicate and proclaim what I discover.
To think correctly, in critical terms, is a requirement imposed by the rhythms of the gnostic circle on our curiosity, which, as it becomes more methodologically rigorous, progresses from ingenuity to
what I have called "epistemological curiosity." Ingenuous curiosity, from which there results, without doubt, a certain kind of knowledge  "

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